Dossier : Nô Mayeur Michel Rasson

L'Hommage à notre camarade Michel Rasson (par Serge Hustache)

Michel et Serge Hustache(Texte lu par Serge Hustache au cimetière de Wodecq.)

Entre la petite ferme familiale de la Chaussée de Wodecq, où Michel est né, et ce cimetière, il y a à peine quelques kilomètres et même pas 70 ans. Mais c’est toute une époque, tout un monde, qui se referme. Plus rien ne sera comme avant…

On a oublié qu’à cette époque, « ça s’tou avant l’guerre », les gens de nos campagnes vivaient la plupart du temps dans des conditions difficiles. Ces « petites gens », comme l’on dit aujourd’hui, ces « sans voix », ces humbles, que l’on pourrait imaginer sortis d’un roman de Zola ou de Dickens, n’avaient que la puissance et la magie du rêve pour trouver un instant de bonheur et s’évader des dures réalités du quotidien.

Je ne peux m’empêcher d’imaginer Michel, entre le Tordoir et les belles collines du Paradis, musarder dans d’interminables fugues buissonnières et rêver de devenir un jour « Quelqu’un », de jouer un rôle dans cette société qu’il découvrait, et si pas à la changer, au moins à changer la vie des gens qu’il aimait. A leur donner tout simplement comme il aimait à le répéter « du bonheur ». Et qu’est-ce qu’il en a donné du bonheur aux autres !

Comment ne pas penser à Michel dans ce passage du livre de Françoise Lizon qui a justement pour cadre ce petit cimetière de Wodecq : « Petite, elle emprunte le sentier qui rejoint le cimetière. Au bois, il y a sûrement des anémones. Peut-être des jonquilles… Le vent s’est tu dans les grands arbres. Il glisse doux, coureur de sentes, entre les haies emplies de bourgeons ». Pour Michel, les haies remplies de bourgeons vont bourgeonner et, comme pour les utopies de Maheu, le héros de Germinal, les rêves de Michel vont « germer lentement dans les sillons, grandissant pour les récoltes futures ».

Et quelles récoltes ! Le petit facteur va devenir Inspecteur principal, le militant syndical accèdera à la Présidence régionale de la CGSP Poste, le modeste Conseiller communal de Wodecq deviendra premier Echevin à Ellezelles, l’animateur des festivités locales sera désigné Vice-Président de la Province de Hainaut. Les anémones, jonquilles et tout ce qui pousse dans les Collines à toutes les saisons en témoigneront encore longtemps. Le petit rêveur des sentiers de traverse de Wodecq deviendra en 1994 le plus populaire des bourgmestres d’Ellezelles.

Il en était si fier et il pouvait bien l’être. Mais ne vous méprenez pas, car sa plus grande fierté, il la trouvait dans le regard des autres… Oui, sa plus grande fierté, c’était vous !

Soyez-en certains, tout ce qui se passe aujourd’hui, il l’a pensé mille fois. Il avait une imagination trop fertile que pour ne pas anticiper l’inéluctable. Vos regards posés sur sa dernière demeure, il les a croisés dans ces derniers voyages. Et oui… Il savait que vous seriez là ! Et dans ces derniers rêves qui l’amenaient inexorablement vers les vallées inconnues, vous pouvez être sûrs qu’il était fier de vous.

Comme il pouvait être fier de toi, Jeannette. Toi sans qui Michel n’aurait pas été « No Michel » car des Michel, il y en a et il y en aura des milliers et des milliers mais « No Michel », il n’en restera toujours qu’un.

On a beau avoir l’habitude de parler, de faire des discours, aujourd’hui on a du mal à trouver les mots… Ici, impossible de tricher. On a affaire à quelqu’un d’entier, de total, de parfois excessif aussi, de très exigeant pour les autres au point parfois d’exploser mais d’encore bien plus exigeant pour lui-même, au point de donner au-delà de toute raison… au point d’en payer de sa propre santé.

On a envie de parler de son humour, de ses manies de « fou » comme il dirait, de ses expressions si savoureuses toujours spirituelles, jamais vulgaires, de son engagement pour les plus humbles, des « steaks comme des d’jones de tchi qu’on minge pour soupé », de mille et une anecdotes plus savoureuses les unes que les autres mais on ne pourra pas tout dire aujourd’hui. D’ailleurs, on ne veut pas tout dire, car on ne peut parler de tout cela qu’avec un sourire aux lèvres, un sourire plein de tendresse et d’amitié, mais aujourd’hui, vraiment, on n’a pas envie de sourire.

On a envie de dire qu’il ne faut pas être triste, mais il est difficile d’imaginer qu’on ne le reverra plus. Il est des gens comme ça dont on a l’impression qu’ils seront toujours là, dont le visage fait tellement partie de nos imaginaires qu’on serait à peine étonné de les rencontrer demain sur place et de nous interpeller : « hé vous, les jones lapins d’garenne ! Est-ce que vo avé déjà fait imprimer les cartes pou’l’prochain souper du PS. De nos temps, ça dalou otermé qu’cha… »

Et oui, « ave le temps va, tout s’en va », chantait Léo Ferré. La vie sera différente sans Michel. Et comment oublier que c’est en février de l’année dernière, il y a un an presque jour pour jour, que Roger Cantraine, poète et écrivain des collines, nous quittait aussi. De quoi détester à tout jamais ce maudit mois de février. Ce n’est décidemment pas seulement le plus court de l’année, mais c’est aussi le plus triste !

Roger Cantraine écrivait que « mourir, mais laisser quelque chose de plus grand que soi-même, ce n’est pas vraiment mourir ». Et pour moi qui fais plus confiance aux poètes qu’aux dieux, il ne peut pas y avoir de doute de ce point de vue, Michel et Roger sont bien vivants.

Serge Hustache
Député provincial

Michel Rasson et Serge Hustache


Le site de Serge : www.sergehustache.be